PATHOLOGIE TUMORALE

Faculté Broussais - Hôtel-Dieu
Université Paris VI


La cellule cancéreuse

Caractéristiques biologiques
Caractéristiques morphologiques
Caractéristiques chromosomiques
Notion de différenciation



        Les tumeurs malignes ou cancers sont des proliférations cellulaires anormales autonomes, agressives, capables de récidiver après traitement et surtout capables de disséminer dans l’organisme, l'apparition de métastases étant l'élément le plus spécifique du cancer. Leur évolution spontanée entraîne la mort de l’individu.
Toute tumeur maligne est faite d’un tissu cancéreux.
Le tissu cancéreux comporte 2 parties: les cellules cancéreuses et le stroma, tissu non tumoral provenant de l’hôte, tissu nourricier et de soutien des cellules cancéreuses.

        Tous les types cellulaires peuvent donner naissance à une tumeur. Le type des cellules qui prolifèrent est à la base de la classification des cancers. On peut observer plusieurs types de tumeurs dans un même organe.

        La cellule cancéreuse a des caractéristiques qui la distinguent d’une cellule normale. Ces caractéristiques sont biologiques, morphologiques, chromosomiques.


I. CARACTERISTIQUES BIOLOGIQUES
  1. Modifications du comportement cellulaire
  • En culture de cellules
Les cellules cancéreuses sont dotées de différentes propriétés, expliquant leur capacité à infiltrer les tissus sains et à disséminer à distance.
  • Immortalité
    Les cellules normales ont un nombre limité de cycles. Les cellules tumorales peuvent, quant à elles, croître indéfiniment en présence d’un milieu nutritionnel adéquat.
  • Perte de la dépendance à l’ancrage
    Les cellules normales nécessitent d’être attachées à une surface solide pour croître. A l'inverse, les cellules tumorales peuvent croître en l’absence de support.
  • Perte de l’inhibition de contact
    La prolifération des cellules normales s’arrête dès qu’elles présentent des zones de contact avec les cellules voisines. Les cellules tumorales sont indépendantes de cette interaction: elles continuent à se multiplier pour former des colonies stratifiées.
  • Perte de l’orientation cellulaire
    Les fibroblastes normaux, sur une surface à orientation linéaire, prolifèrent selon la même orientation. Les cellules cancéreuses n’ont pas cette capacité à s’orienter (modifications du cytosquelette).
  • Agressivité
    Les cellules cancéreuses détruisent les cellules normales et les remplacent (avantage prolifératif).
  • Autosuffisance pour les signaux de croissance
    Les cellules tumorales peuvent croître en l’absence de facteurs de croissance. Elles sont capables de produire, de façon déséquilibrée, leurs propres facteurs de croissance et d’y répondre (secrétion autocrine).
  • In vivo
  • Contrairement aux cellules normales, les cellules tumorales injectées à des animaux immunodéficients (souris SCID,...) prolifèrent et donnent naissance à une tumeur.
  • Une tumeur passée inaperçue dans un organe transplanté peut secondairement se développer chez le receveur.
  1. Modifications biochimiques et fonctionnelles
  • Mobilité accrue des cellules tumorales, rendant compte des phénomènes d'invasion, expliquant la difficulté d’exérèse chirurgicale complète.
  • Modifications membranaires
Elles sont nombreuses, expliquant les modifications du comportement des cellules cancéreuses et des communications intercellulaires (cf. culture de cellules). Elles intéressent:
  • Les constituants chimiques membranaires (protéines, glycoprotéines, phospholipides,...)
  • Les antigènes membranaires (perte, acquisition,...), mettant en jeu le système immunitaire de l’hôte
  • Modifications fonctionnelles
Il s'agit du maintien, de la perte ou du gain, par les cellules tumorales, des fonctions caractérisant les cellules normales homologues.
  • Conservation des fonctions normales
    Elle caractérise un tissu tumoral différencié.
    Elle permet de reconnaître la tumeur et de la classer par des colorations standard ou histochimiques et des techniques immunohistochimiques.
  • Perte des fonctions normales
    Elle caractérise un tissu tumoral indifférencié.
  • Acquisition de fonctions nouvelles
    Ces fonctions, nouvellement acquises, sont associées au développement de certains cancers: on les appele des marqueurs tumoraux.
    Ces marqueurs tumoraux n'ont aucune spécificité ni de tumeur, ni d’organe. Ils sont seulement un élément d’orientation dans le diagnostic de cancer et de son origine. Leur découverte a un intérêt dans le dépistage de sujets à risque (PSA,...). Ils ont un intérêt majeur dans la surveillance sous traitement.
    Parmi les marqueurs tumoraux, on distingue principalement:

    - Les antigènes oncofœtaux et placentaires
    Ils sont présents dans les tissus foetaux ou placentaires. Ils sont absents dans les tissus adultes normaux. Ils peuvent réapparaître dans certains cancers: ACE, aFP, HCG.
    - Les hormones protéiques et polypeptidiques
    La plupart des hormones peuvent être sécrétées par les cancers, que le cancer dérive des tissus qui les produisent normalement ou d'autres tissus (TSH, ACTH, calcitonine, hormone antidiurétique,...). Leur sécrétion est à l’origine de syndromes paranéoplasiques tels qu'une hyperthyroïdie, un hypercorticisme,....
    Ces syndromes paranéoplasiques sont peu fréquents. Ils sont indépendants du siège de la tumeur. Ils sont secondaires à la tumeur. Ils peuvent parfois précéder la découverte clinique de la tumeur. Ils disparaissent après traitement de la tumeur, réapparaissant en cas de récidive.
    - La sécrétion accrue de substances produites par les cellules normales dont dérivent la tumeur
    Pour exemples: la phosphatase acide prostatique dans le carcinome de la prostate, les immunoglobulines dans certaines tumeurs lymphoïdes B....


II. CARACTERISTIQUES MORPHOLOGIQUES
        La cellule cancéreuse se caractérise par un grand polymorphisme, reflet d’une croissance accélérée, d’une importante synthèse protéique ainsi que d’une perte de la différenciation cellulaire.
  1. Critères cytologiques de malignité
Les caractéristiques morphologiques des cellules cancéreuses constituent les critères cytologiques de malignité. Ceux-ci ont des limites:
  • Aucun critère morphologique, cytologique, n’est à lui seul spécifique de malignité
  • Des modifications cytologiques identiques peuvent s’observer au cours de pathologies non tumorales (viroses, lésions post-radiques,...)
  • Un diagnostic cytologique de malignité se porte sur un ensemble de critères, intéressant un ensemble de cellules, en fonction du contexte
  • Les critères cytologiques de malignité peuvent manquer, le diagnostic de tumeur maligne étant alors porté sur l’extension de la tumeur
  1. Modifications nucléocytoplasmiques
Elles intéressent les différents composants de la cellule.
  • La taille des cellules
  • Dans un tissu tumoral, les cellules cancéreuses sont souvent de taille inégale entre elles: anisocytose
  • Un certain degré de "gigantisme" cellulaire est souvent observé
  • Le noyau
  • Les cellules tumorales, par rapport aux cellules normales, présentent fréquemment une augmentation du rapport nucléo-cytoplasmique
  • Les noyaux, d'une cellule tumorale à l'autre, sont de taille inégale entre eux: anisocaryose
  • Ils sont souvent de formes irrégulières
  • Ils sont hyperchromatiques; leur chromatine est en mottes irrégulières
  • La membrane nucléaire est épaisse
  • Les nucléoles sont nombreux, volumineux (rôle dans la synthèse d’ARN)
  • Le cytoplasme
  • Il est souvent de basophilie accentuée, témoin de la richesse en ribosomes et de la synthèse protéique accrue
  • Il peut exister des images de "cannibalisme" cellulaire
  • Les modifications de la différenciation cellulaire par perte ou anomalie de certaines d'entre elles comparativement aux cellules normales homologues dont elles dérivent
  1. Anomalies des mitoses
  • Par comparaison avec un tissu normal, on observe que, dans un tissu cancéreux, les mitoses sont souvent:
  • Plus nombreuses
  • En situation anormale (épithéliums)
  • De morphologie anormale (multipolaires,...)
  • En nécrose: "mitonécroses" par acquisition de mutations léthales


III. CARACTERISTIQUES CHROMOSOMIQUES
        Dans les cancers, les anomalies chromosomiques sont fréquentes, multiples, quantitatives et/ou qualitatives, souvent non spécifiques, instables au cours de l’évolution de la tumeur. Elles se traduisent par un caryotype anormal démontrant, notamment dans certaines variétés de tumeurs, l'intérêt de la cytogénétique.
  • Anomalies quantitatives
Il s'agit des anomalies portant sur le nombre des chromosomes:
  • Aneuploïdie (N différent de 46 ou d’un de ses multiples)
  • Polyploïdie (N multiple de 46)
  • Anomalies qualitatives
Il s'agit des anomalies portant sur la structure des chromosomes:
  • Délétion, par perte d'un fragment de chromosome
  • Translocation, par transfert d'un fragment de chromosome sur un autre chromosome
  • Addition
  • Intérêt de la cytogénétique
Certaines tumeurs, notamment hématopoïétiques ou conjonctives, sont très fréquemment associées à un type précis d'anomalie chromosomique. Pour exemples:
  • La leucémie myéloïde chronique: t(9;22) du chromosome Philadelphie Ph 1
  • Le lymphome de Burkitt: t(8;14)
  • Le lymphome folliculaire: t(14;18)
  • Le sarcome d'Ewing: t(11;22)


IV. NOTION DE DIFFERENCIATION
        La notion de différenciation en cancérologie permet de préciser le degré de ressemblance d'un tissu cancéreux avec un tissu normal. Cette notion intervient dans le grading histopronostique d'une tumeur.
  1. Tumeur différenciée
Une tumeur est dite différenciée lorsque les caractères morphologiques permettent de reconnaître une ressemblance avec un tissu normal. La différenciation peut être:
  • Architecturale (glandes,...)
  • Fonctionnelle, révélée par différentes techniques:
    • Histochimie: mucus,...
    • Immunohistochimie: immunoglobulines,...
    • Microscopie électronique: desmosomes,...
  • Cytologique (position du noyau, taille du cytoplasme, nucléole)
  1. Tumeur indifférenciée
Une tumeur est dite indifférenciée ou anaplasique lorsqu'il n'existe aucune ressemblance avec un tissu normal. Elle se présente alors sous forme de plages de cellules non organisées sans aucun signe de différenciation reconnaissable.
        Tous les aspects intermédiaires entre une tumeur bien différenciée et une tumeur indifférenciée peuvent s'observer. Il existe souvent, au sein d'une même tumeur, des aspects hétérogènes d'un territoire à l'autre.


Dernière mise à jour
28 avril 2002