PATHOLOGIE TUMORALE

Faculté Broussais - Hôtel-Dieu
Université Paris VI


Le stroma

Définition
Constitution
Matrice extracellulaire
Angiogenèse tumorale
Réaction immunitaire et inflammatoire
Différents types de stroma



        Le tissu cancéreux comporte deux composants: les cellules cancéreuses et le stroma. Le stroma est un tissu non tumoral provenant de l’hôte. Il est le tissu nourricier et de soutien des cellules tumorales.
Il existe de nombreuses interactions entre les cellules cancéreuses et le stroma, jouant un rôle important dans les phénomènes d'invasion et de dissémination tumorales.


I. DEFINITION DU STROMA
        Le stroma est un tissu conjonctivo-vasculaire non tumoral présent dans tous les types de cancers invasifs (sauf les leucémies). Il est présent dans les métastases. Sa formation est induite par les cellules cancéreuses. Il joue un rôle de soutien et de nutrition indispensable à leur croissance.



II. CONSTITUTION DU STROMA
        Le stroma est schématiquement composé de trois constituants:
  1. Les fibroblastes-myofibroblastes et la matrice extracellulaire
La dégradation de la matrice extracellulaire par des protéases a un rôle essentiel dans l’invasion et la dissémination tumorales.
  1. Les vaisseaux néoformés ou angiogenèse tumorale
La formation de ces vaisseaux, nouvellement formés, est induite par les cellules cancéreuses et les cellules du stroma. Ces néovaisseaux apportent l'oxygène et les éléments nutritifs indispensables aux cellules cancéreuses et, de ce fait, à la croissance tumorale. Ils sont un élément essentiel de la dissémination métastatique. Leur insuffisance est responsable de la nécrose.
  1. Les cellules inflammatoires et immunocompétentes
Il s'agit des lymphocytes, cellules NK, plasmocytes, histiocytes, polynucléaires neutrophiles, polynucléaires éosinophiles.


III. MATRICE EXTRACELLULAIRE
        La matrice extracellulaire est un réseau complexe de protéines et de protéoglycanes.
  1. Physiologie
Son rôle physiologique est d'assurer la cohésion, la migration et la différenciation cellulaires. Elle maintient l’architecture tissulaire. Elle est le lieu d’interaction privilégié entre les cellules et les composants matriciels. Son rôle est important dans la prolifération cellulaire.
La matrice extracellulaire comporte deux composants: la matrice interstitielle (cellules mésenchymateuses) dont les collagènes I, II, III, l'élastine, la fibronectine et les glycosaminoglycanes, et la membrane basale (cellules épithéliales) constituée notamment par le collagène IV et la laminine.
La régulation physiologique de la matrice extracellulaire, sans cesse en remodelage, se fait par un équilibre entre un système de protéases et d'inhibiteurs de protéases. Ce système protéases / inhibiteurs de protéases joue un rôle majeur en pathologie dans les phénomènes d'invasion tumorale.
  1. Pathologie
En pathologie tumorale, la dégradation des composants matriciels se fait par déséquilibre de la balance protéases matricielles / inhibiteurs des protéases, favorisant invasion et dissémination tumorales.
  • Les protéases matricielles
Elles sont synthétisées par les cellules tumorales et les cellules du stroma (fibroblastes, macrophages, cellules endothéliales). Elles se divisent en deux groupes:
  • Les métalloprotéases matricielles (collagénases, stromélysines, gélatinases, membrane-type)
  • Les activateurs du plasminogène (PAs): urokinase (uPA), activateur tissulaire du plasminogène (tPA)
  • Les inhibiteurs des protéases matricielles
Ils se divisent également en deux catégories:
  • Les inhibiteurs des métalloprotéases: TIMPs
  • Les inhibiteur des activateurs du plasminogène: PAIs
  1. Complexité du système
        Pour exemples:
  • L'urokinase a un rôle multiple:
  • Action protéolytique directe
  • Activation d’autres collagénases
  • Facteur de croissance des cellules tumorales (TGFb)
  • Facteur d’angiogenèse
  • Les inhibiteurs des protéases (TIMPs, PAIs) ont quant à eux un double rôle dans la suppression des phénomènes d’invasion et de dissémination par:
  • Inhibition des protéases
  • Régulation négative de l’angiogenèse


IV. ANGIOGENESE TUMORALE
        L’angiogenèse tumorale (formation de néovaisseaux), indispensable à la croissance tumorale, est un des facteurs essentiels de la dissémination métastatique.
Elle est due à la migration, puis à la prolifération et à la différenciation des cellules endothéliales sous l’influence de facteurs angiogéniques sécrétés par les cellules cancéreuses et les cellules du stroma.
  1. Facteurs angiogéniques / Inhibiteurs de l'angiogenèse
  • Facteurs angiogéniques
  • Le vascular endothelial growth factor (VEGF), dont la synthèse est assurée par les cellules tumorales et les cellules du stroma (macrophages). Son rôle varie en fonction du récepteur:
    VEGF / récepteur R2 = prolifération cellulaire
    VEGF /récepteur R1 = différenciation en tubes et maturation
  • Les angiopoïétines
    angiopoïétine 1 / récepteur Tie2 = maturation des vaisseaux; recrutement de cellules péri-endothéliales pour stabiliser le vaisseau
    angiopoïétine 2 / récepteur Tie2 = signal inhibiteur de maturation; augmentation de l’effet de VEGF
En résumé:
prolifération: VEGF / récepteur R2
différenciation: VEGF / récepteur R1
maturation: angiopoïétine 1 / récepteur TIE2
  • Inhibiteurs de l'angiogenèse
  • La thrombospondine 1, produite par les cellules tumorales
  • L'angiostatine (plasminogène) et l'endostatine (collagène), produites par la dégradation de la matrice (induite par la tumeur)
  1. Rôle de l'angiogenèse
  • L'angiogenèse est indispensable à la croissance tumorale
Si les apports nutritifs d'une petite tumeur (1 à 2 mm3) se font initialemnt par diffusion, l'augmentation progressive des besoins, par augmentation du volume tumoral, nécessite très vite un apport sanguin en oxygène et en éléments nutritifs. C'est la raison pour laquelle se développe une angiogenèse. Celle-ci va ainsi permettre l'accroissement de la tumeur. En corrélat de ces faits, on note que l’activité mitotique diminue à distance des capillaires.
  • L'angiogenèse favorise la dissémination métastatique
La fragilité et la perméabilité des néovaisseaux (membrane basale et péricytes incomplets) font des néovaisseaux la route de sortie idéale des cellules cancéreuses vers la circulation systémique.
Le risque métastatique semble ainsi, pour certains cancers (sein, ovaires), proportionnel au degré de vascularisation de la tumeur. Deux faits peuvent l'expliquer: le risque accru, pour les cellules tumorales, de rencontrer un capillaire; le plus grand nombre, dans de tels cancers, de cellules tumorales "angiogéniques".
  1. Effet paracrine de l’angiogenèse
        Il existe un système paracrine entre les cellules tumorales et les cellules endothéliales:
  • Les cellules cancéreuses produisent des facteurs angiogéniques
  • Les cellules endothéliales synthétisent différents facteurs favorisant la prolifération et la migration des cellules cancéreuses:
  • Facteurs de croissance et cytokines qui stimulent la prolifération tumorale (bFGF,...)
  • Collagénases (métalloprotéases, PAs) qui dégradent la matrice extracellulaire et facilitent la migration des cellules tumorales
  1. Morphologie de la vascularisation
La vascularisation tumorale capillaire est branchée sur des pédicules artério-veineux normaux situés en périphérie de la tumeur. De fréquentes anastomoses artério-veineuses se forment à ce niveau, expliquant l'existence d'effets shunt responsables de l'inefficacité des chimiothérapies locales et les nécroses tumorales. La vascularisation intra-tumorale peut se présenter sous trois aspects principaux:
  • Un réseau à mailles irrégulières, anarchique, à parois fines et fragiles, avec des ectasies vasculaires, souvent responsables d'un ralentissement du flux (opacifications prolongées des artériographies) et d'hémorragies intra-tumorales
  • Des pseudovaisseaux constitués par les cellules tumorales elles-mêmes (ex. mélanomes), rendant compte de l'inefficacité de la radiothérapie (action sur les cellules endothéliales) et de la facilité, pour ces tumeurs, à disséminer par voie hématogène (absence de barrière vasculaire)
  • Un réseau grêle proche de la normale (ex. carcinome hépatocellulaire)


V. REACTION IMMUNITAIRE ET INFLAMMATOIRE
        La stroma-réaction se développe dès que les cellules tumorales entrent en contact avec le tissu conjonctif normal. Les éléments cellulaires y participant sont soit des cellules immunocompétentes, soit des celules inflammatoires.
  1. Cellules immunocompétentes
  • Les lymphocytes T
Ils peuvent être activés par l'IL2.
Les tumeurs dont le stroma contient un grand nombre de lymphocytes T seraient de meilleur pronostic.
L'immunothérapie pourrait être un traitement anti-tumoral.
  • Les cellules NK
Elles peuvent être activées par l'IL2.
Elles sont en nombre variable dans le stroma des tumeurs.
Elles sont actives sans immunogène tumoral préalable.
  • Les histiocytes macrophages
Ils sont activés par les lymphocytes T et les cellules NK (IFN-g).
Leur action se fait soit par le biais du TNF-a, soit selon des mécanismes similaires à ceux employés dans la destruction d’agents pathogènes (ex. production de métabolites oxygénés actifs).
  • Les lymphocytes B
Leur cytotoxicité est dépendante des anticorps.
  1. Cellules inflammatoires
  • Les polynucléaires éosinophiles
Certains cancers ont un stroma à éosinophiles (> 50 %) et seraient de bon pronostic. Le rôle cytotoxique des granules est invoqué.
  • Les mastocytes


VI. DIFFERENTS TYPES DE STROMA
        Le stroma des cancers est d'aspect varié. Certaines tumeurs ont un stroma abondant (ex. maladie de Hodgkin, squirrhe du cancer mammaire). Le stroma est parfois responsable de l’aspect macroscopique du cancer (ex. aspect rétractile du cancer du sein). Il peut être le siège de calcifications ou de dépôts anormaux (ex. substance élascéinique dans le cancer du sein; amylose dans les cancers endocriniens). Il sert parfois à la sous-classification de cancers (ex. maladie de Hodgkin).
Les différents types de stroma peuvent ainsi être définis:
  1. Selon l'abondance de la matrice extracellulaire
  • Stroma grêle (cancers endocriniens, sarcomes)
  • Stroma abondant, fibreux (squirrhe du cancer du sein)
  1. Selon les modifications de la matrice extracellulaire
Stroma élascéinique, hyalin, amyloïde, métaplasique (osseux),...
  1. Selon la réaction inflammatoire / immunocompétente
  • Stroma riche en polynucléaires éosinophiles
  • Stroma lymphoïde (ex. carcinome médullaire du sein): meilleur pronostic
  • Stroma histiocytaire / granulomateux épithélioïde et gigantocellulaire (ex. tumeur testiculaire (séminome))


        Les connaissances acquises concernant le stroma permettent d'envisager de nouvelles stratégies dans le traitement des cancers. Celles-ci peuvent intervenir au niveau de tous ses constituants, en agissant soit sur la matrice extracellulaire: inhibition des métalloprotéases (TIMPs) (ex. Marimastat dans le carcinome de l’ovaire), soit sur l'angiogenèse: inhibition de la synthèse ou inactivation de facteurs angiogéniques (régulation négative de l’angiogenèse par les inhibiteurs des métalloprotéases (TIMPs) dans le carcinome de l’ovaire (ex. Marimastat); blocage des récepteurs angiogéniques des cellules endothéliales (ex. compétiteur du uPA-R); inhibition de la prolifération, de la migration ou de la différenciation des cellules endothéliales, soit enfin sur la réaction immunitaire en la stimulant (immunothérapie).


Dernière mise à jour
28 avril 2002